Château Barbeyrolles

La Revue du Vin de France

  • by: pierrot
  • 15 juin 2021

Bruno Batisse – Hors-série Juin 2021

Le vin rosé une nuance retrouvé

Et Régine Sumeire inventa le rosé “pâle”…

Dès 1985, la vigneronne de Barbeyrolles crée des prototypes de jus pressés doucement et macérés très brièvement.

Tout commence par un coup de fil. Avant les vendanges 1985, un certain Jean-Bernard Delmas (déjà vinificateur du fameux Haut-Brion) appelle son amie provençale Régine Sumeire, propriétaire de Château Barbeyrolles. La conversation tourne autour de la meilleure manière d’améliorer encore les rosés de la propriété historique de la prequ’île de Saint-Tropez ; la vigneronne veut obtenir une couleur rose moins dense. “Tu devrais essayer de presser tes raisins entiers, comme je le fais avec mes blancs, et de ne les faire macérer que peu de temps”, explique le Bordelais à sa consoeur. Drôle d’idée, dans une Provence où l’on égrappe les beaux et généreux raisins locaux avant de les laisser tremper jusqu’à plusieurs jours. Mais l’énergique Régine tente une expérience sur un lot de grenache avec une presse alsacienne de type Coq, et le résultat est fameux : “le jus était non seulement plus clair, mais il était aussi un peu plus long en bouche, un peu plus délicat, un peu plus soyeux”, se souvient la vigneronne trente-cinq ans après. Depuis quelques temps déjà, l’expérimentatrice voulait tenter de créer une couleur un peu plus dans l’air du temps : “on était dans les années Mitterand, les années de la rose… J’avais eu cette idée en me baladant dans un jardin fleurie avec une amie qui s’était extasié devant la couleur pâle des pétales de rose”, ajoute-t-elle. La célèbre cuvée Pétale de Rose voit ainsi le jour avant la première cohabitation : les rosés modernes du XXIème siècle sont nés.

Comme la maîtresse de Barbeyrolles est en avance sur son temps, elle prend de plein fouet les petites mesquineries conservatrices du milieu. “A l’époque, faire un rosé de cette couleur exposait au délit de sale gueule, j’ai souvent été recalée aux agrément”, se souvient-elle. L’adoption de la forme bordelaise pour sa Pétale de Rose n’arrange pas ses affaires, auprès des professionnels. Mais la vigneronne s’acharne. Le jeune Alain Ducasse, alors star montante des fourneaux au Louis XV (Monaco), un des premiers à croire dans le potentiel de cette bouteille, la fait rentrer dans la cave étoilé. Pétale de Rose traverse aussi l’Atlantique en 1987, embarqué avec onze rosés réputés pour effectuer la Route du rosé, une opération commerciale futée entre Saint-Tropez et Saint-Barth.

Il faudra toutefois attendre la fin des années 1990 pour que la mutation s’opère en Provence, et que les grands rosés deviennent de plus en plus clairs, pour d’évidentes raison marketing. “Une des bases du succès historique du rosé moderne depuis vingt ans est cette couleur claire, de plus en plus proche du blanc, et donc paradoxalement assimilée à la pureté et à la santé”, analyses Olivier Thienot, président de l’Ecole du vin. Les Provençaux peut élever une statue à Régine Sumeire !

 

Dessins extraits du livre “L’incroyable histoire du vin” de Benoit Simmat et Daniel Casenave